La pratique du plein air dans ma vie d’artiste

Par Anna Filimonova, commissaire du festival Cultures croisées et créatrice de la plateforme Frenchpleinairpainters.

 

Depuis une dizaine d’années, on constate un véritable renouveau pour la peinture en plein air. Longtemps réputée « hasbeen », surtout en France, elle revient à l’avant-scène, et plus que jamais depuis l’épisode Covid. Si je n’ai pas attendu cette tendance pour la pratiquer, sa valorisation m’apparaît en ce moment plus importante que jamais.

Peindre en plein air n’est pas mon processus de création exclusif, loin de là. En tant que peintre de formation « académique », cette activité est avant tout un exercice nécessaire pour l’apprentissage de la couleur. Comme les gammes pour un pianiste, la barre pour un danseur, le croquis pour le dessinateur… D’ailleurs, je retravaille rarement mes études de plein air, qui restent dans leur jus. C’est leur fraîcheur qui m’est chère.

Dans la formation russe que j’ai reçue, on pratique le plein air dès plus jeune âge, quelle que soit l’école, d’abord avec l’aquarelle, ensuite à l’huile. De la 3e à la fin des études, j’ai effectué chaque année un à deux mois de stages de plein air, dans une résidence avec de nombreux sujets à moins d’un kilomètre à la ronde, peignant de l’aube au coucher du soleil. Avec mes camarades, nous revenions de ces voyages avec de 60 à 80 études dans différents formats. Ce qui explique pourquoi les Russes sont tellement rompus à cette pratique ! Une fois diplômés, la plupart continuent à peindre plus ou moins souvent sur le motif, avec des techniques et des buts différents en fonction de chacun.

Mes préférences

Plutôt qu’une demi-journée, je préfère disposer d’un temps long devant moi. Je peux ainsi choisir mon heure, ma lumière, revenir plusieurs fois sur le même motif. J’ai autant de plaisir à peindre à l’aquarelle qu’à l’huile, même si la lourdeur de l’équipement à emporter m’a souvent freinée pour des voyages courts. J’ai toujours une petite chaise dans ma voiture, des stocks de papier mi-teintes, très utiles pour aller vite. Je m’autorise aussi le blanc en gouache pour les repentirs et les rehauts mais n’utilise jamais la gomme de réserve. Mon chevalier de campagne russe Etudnik est un peu plus léger que la boîte chevalet Julian. Il permet de faire des études rapides jusqu’à un format 12.

Un phénomène en vogue

Depuis une dizaine d’années, les plein-airs artistiques collectifs sont de plus en plus prisés par les artistes dans presque tous les pays de l’Est et l’ex Union Soviétique. Certains rassemblent jusqu’à des centaines de peintres, d’autres offrent des conditions formidables de gratuité du gîte et du couvert (souvent en échange d’une partie de la production), de nombreux musées locaux passent des commandes aux artistes les plus réputés… C’est une forme de tourisme artistique qui permet de voir le monde et se montrer.

Aux États-Unis, le mouvement est gigantesque : on voit en Californie des rassemblements jusqu’à mille personnes, professionnels et amateurs confondus. En France, la peinture en plein air reprend petit à petit ses droits. Si le plus ancien événement, le concours de Magné dans le marais poitevin, garde son rang, d’autres se font connaître sur cette thématique. J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour les Urban Sketchers, très populaires ces dernières années. On trouve parmi eux des dessinateurs extraordinaires et très talentueux.

La richesse des échanges

C’est à l’arrivée de mes confrères russes en France pour des séjours de peinture que j’ai renoué avec l’huile en plein air et retrouvé le plaisir des échanges de ma jeunesse. Ces rencontres m’ont conduit à créer en 2019 une plateforme qui permettrait aux artistes français de se retrouver pour peindre dans des lieux adaptés et bienveillants. Sortir peindre près de chez soi occasionnellement est facile. Mais partir loin pour une semaine ou plus requiert de l’organisation et de la logistique !

La plateforme Frenchpleinairpainters.com offre ainsi de nombreuses opportunités de quitter la solitude de l’atelier afin de se retrouver pour des échanges toujours enrichissants. En France ou à l’étranger, les stages et événements sont couverts par une belle communication.

Un rôle important dans l’enseignement russe

Pour les pédagogues russes, le plein air permet un certain mûrissement de la personnalité. C’est l’occasion d’appliquer la théorie de l’atelier : perspective, composition, relations des couleurs entre elles, de façon plus libre. L’école russe est actuellement l’une des plus généreuses en couleurs. Tout en étant académique, elle a une approche très aérienne des teintes, empreinte des découvertes de l’impressionnisme, privilégiant l’émotion à la valeur. Les peintres qui passent par cet apprentissage acquièrent aussi, dans des conditions parfois spartiates, la vitesse et la technicité nécessaires pour aller à l’essentiel : rapidement choisir son point de vue, composer, dessiner et peindre. Sur le motif, en deux heures, la lumière a changé et vous avez devant vous un nouveau sujet ! On ne peut trop perfectionner aucune de ces étapes. Cette dictée de la nature dans un rythme effréné possède ses lois du genre ! Son rôle est de développer un véritable esprit de synthèse nécessaire à tous.

Passée l’appréhension, le plaisir vient rapidement. Il est extrêmement jouissif de se retrouver dans la nature et pouvoir choisir son propre sujet.

J’espère que ce mouvement va continuer de mûrir en France qui offre une variété de paysages incomparables, un patrimoine avec la patine indispensable à la belle peinture et une richesse multiculturelle des talents qui se croisent librement dans ces rassemblements.

 

 

 

 

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